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Stalag XVII A Kaisersteinbruch: Témoignages


Marcel Lauwaert

Marcel Lauwaert

Des années troubles.

Hommage à mon père et à ceux qui ont « fait leur devoir »,
hommage aussi aux femmes qui ont lutté, espéré, attendu, pleuré. continué.

Kaisersteinbruch est un nom que je connais depuis que je suis née en 1946. Mon père en parlait, surtout avec son ami Alex. Alex venait nous voir avec sa femme Paulette et puis ils sont partis à Bogota , c'est pourquoi j'ai connu « Bogota » avant « Bruxelles » Le 26 août 1939 mon père est arrivé à toute allure chez mes grands-parents. Tout le monde était parti aux champs sauf ma mère et mon père a crié « Georgette dépêche-toi, on va vite aller se marier. » Georgette a protesté, en flamand naturellement que « non, non, tout était prêt pour le mariage mais pas comme ça, à la sauvette, mais un matin en grande pompe, pit-en-l'air , chapeau buse et robes longues et messe solennelle et banquet » comme cela se faisait alors. D'ailleurs les bans avaient déjà été publiés.

« non, non, non - a rétorqué Marcel - maintenant et tout de suite : la guerre va éclater, je vais être mobilisé et alors il sera trop tard et si jamais j'étais tué sur le front, au moins tu recevrais une pension de veuve. »

Ils ont enfourché leur bicyclette, ont couru chez le secrétaire communal et chez le curé, ont racolé deux témoins par hasard qui ont prêté leurs alliances et ils ont été mariés avant même que les parents ne rentrent des champs.

Ensuite Marcel a sauté dans le tram pour être rentré à temps à la caserne.

En arrivant il rencontre son copain Alex.

-« Et bien ? tu en fais une tête ? »

-« Ne m'en parle pas. Je viens de me marier. »

Ils ont passé leur nuit de noce ensemble dans la caserne des grenadiers et puis est arrivée la mobilisation et mon père est parti à Tessenderlo où ma mère l'a rejoint. Ensuite ça n'en finissait plus de finir, d'aller et venir, de congés et de rappels jusqu'en mai. Soudain ma mère a du rentrer au village, pendant le voyage son train a été bombardé. Ensuite elle est restée à la maison tandis que mon père était sur le Canal Albert. Quand ma mère est partie on voyait « les gradés » qui partaient eux aussi dans leurs grosses voitures en direction opposée à celle du front et ma mère a dit à mon père

-« Viens aussi, viens avec moi, tu vois bien que tout le monde s'enfuit. »

Mais lui, l'idiot, il a répondu :

-« Non, je dois faire mon devoir. »

Avec ça on est bien.

Et voilà mon père installé sur la rive du Canal Albert avec ses soldats. J'ai entendu cette histoire d'innombrables fois et puis mon père est devenu vieux. J'ai enregistré une conversation « pour en faire quelque chose, un jour » car quand il serait mort ce serait encore un témoignage qui allait disparaître. J'en ai parlé avec sa jeune sœur et d'autres connaissances. Encore aujourd'hui c'est un thème délicat. A moins de ne pas se rendre compte de ce que cela signifie, personne n'aime dire qu'il a été danser au bal du parti Rex.Il est d'ailleurs inquiétant que l'on ne se rende pas compte de ce que cela signifie. Personne n'aime dire qu'on a rasé les cheveux d'une personne de la famille parce qu'elle fréquentait les soldats allemand. Personne n'aime dire qu'on a tracé des croix gammées sur une porte. Je conçois donc mon texte comme une tentative de sincérité, comme un geste d'humilité et aussi de respect pour tous ceux qui ont souffert pendant cette période, quel que soit le parti. Souvent je me pose la question : et si moi j'avais été dans cette situation ? qu'aurais-je fait ? Aurais-je collaboré avec les allemands ? résisté ? ou tout simplement me serais-je adaptée de façon opportuniste ? Je crois qu'il est facile de se tromper et aussi que les choses doivent être dites pour éviter que l'histoire ne se répète.

Ce texte n'est pas scientifiquement historique, c'est le témoignage d'un homme de 91 ans, une conversation modifiée le moins possible, juste ce qu'il faut pour rendre le texte intelligible. Il ne s'agit donc pas d'un texte en français littéraire, mais d'une conversation retranscrite.

Mon père: « J'étais mobilisé à Lixhe-Lohen. J'étais dans les tranchées. On avait creusé des tranchées et je ne sais pas comment la nouvelle nous est parvenue que le fort d'Eben Emael était tombé. »

Moi : « Tu dois, encore une fois, raconter l'histoire du fort d'Eben Emael : quand est-ce qu'on l'a construit ce fort ? »

Mon père : « On l'a construit en même temps que le Canal Albert. Le Canal Albert c'était pour relier Liège à Anvers, pour avoir une voie d'eau directe et cela servait en même temps de défense contre l'Allemagne, parce que dans la berge étaient enclavés des fortins... dans la digue le long de la mer il y avait aussi des fortins... Ces fortins avaient une vue sur toute une portion de fleuve et les Allemands devaient passer là. Nous étions un peu au Nord du pont de Lixhe. Lixhe-Lohen. Et là je les ai vus passer. Nous avons été survolés une fois par un avion allemand qui passait en mitraillant, personne n'a été touché. Les tranchées étaient en quinconce comme cela ils ne savaient pas les prendre d'enfilade, avec leurs mitraillettes. Je ne saurais pas dire comment la nouvelle nous est venue, de la chute du fort d'Eben Emael. On avait prétendu que Eben Emael était imprenable. Nous on pensait qu'Eben Emael était imprenable. Mais les Allemands sont arrivés, ils ont lancé là dessus des planeurs et des parachutistes et il parait que ces parachutistes sautaient sur les bouches des canons, lançaient des grenades dedans et explosaient avec les canons. »

(Le « toit » de ce fort avait été construit plat pour permettre aux soldats de garde d'y jouer. au football. donc aucune défense verticale.)

La principale faiblesse du fort, qui lui sera fatale, c'est son toit. Cette vaste étendue plane, pas défendue : nulle mine, nul obstacle antiaérien. La raison de cette non-préparation montre bien que la Belgique n'était pas prête à la guerre : ce vaste espace servait de terrain de football aux soldats du fort (les soldats avaient même lancés une pétition pour empêcher que le toit soit miné).

À noter également que les canons ont une portée de 11 et 17.5 km. L'armée belge n'en a pas installé de plus puissants car la neutralité de la Belgique imposait que le territoire allemand ne soit pas à portée de canons. cfr. wikipedia / fort d'Eben Emael.

Moi : « Le fort d'Eben Emael, il y en avaient plusieurs ou c'était le seul ? »

Lui : « Il y avait plusieurs forts mais le plus puissant et celui qui était imprenable, c'était Eben Emael et c'est lui qui est tombé le premier. »

Moi : « Après ils ont passé le Canal Albert et ils ont passé la Meuse. Ou bien d'abord la Meuse et puis le Canal Albert ? »

Lui : « Non, non, d'abord le Canal Albert et puis la Meuse. La Meuse c'était bien plus bas. »

Moi : « Et toi, tu étais là-bas quand vous avez appris que le fort était tombé ? Qu'est ce que vous avez fait ? »

Lui : « Et bien, tout le monde s'est encouru... Tout le monde a essayé de rejoindre un groupe plus au sud et moi aussi je suis parti, j'ai attendu un peu. Je suis resté un temps pendant lequel les gens passaient sur le pont de Lixhe-Lohen et j'aurais su tirer, dans le tas, mais j'allais tuer des femmes et des enfants. C'étaient surtout des gens qui évacuaient, des civils qui s'encouraient devant les Allemands et les Allemands se mêlaient à ces gens. On les voyait très bien avec nos jumelles. Tu tirerais sur des femmes et des enfants ? Ils sont passés comme ça, les allemands sont passés... »

Moi : « Mêlés dans la foule ? »

Lui : « Oui et alors moi aussi je suis... »

Chaque fois que mon père a évoqué ce fait il a pleuré ; cette fois encore sa voix se noue, ses yeux se remplissent de larmes. il se tait. Chaque fois j'ai essayé de lui dire que de toutes façons même s'il avait massacré des centaines de personnes, les Allemands seraient quand même passés, autre part, ou par les airs. Donc en fin de compte il avait bien fait mais il n'a jamais pu trancher : aurait-il dû « faire son devoir » et tirer ou « avoir compassion » et ne pas tirer ? Tragédie grecque, Corneille, Racine.

Moi : « Attends, tu avais des armes ? »

Lui : « J'avais quatre mitrailleuses Maxim, quatre grosses mitrailleuses Maxim avec des caisses de rubans de cartouches et un réservoir autour du canon dans lequel il circulait de l'eau pour refroidir le canon et il y avait un petit tube qu'on plantait dans la terre pour que l'ennemi ne voie pas la vapeur et ne puisse pas viser nos positions. Ces mitrailleuses se trouvaient sur des caissons qui étaient tirés par des chevaux. Pendant la guerre les chevaux étaient réquisitionnés. Quand les paysans devaient porter leur cheval à l'inspection ils leur rasaient les poils pour qu'ils fassent piètre figure et ne soient pas réquisitionnés... »

Ma mère : « Sans notre cheval qu'est ce qu'on aurait fait ? Nous on a évacué avec une charrette et le cheval... »

Mon père : « Il y avait une belle petite jument, elle s'appelait Netteke... beaucoup trop fine et trop belle pour tirer des caissons, alors j'ai dit, non, non, non, Netteke, par ici, alors, elle suivait avec nous, mais sans tirer de caissons... »

Moi : « Et toi-même qu'est ce que tu avais comme arme ? »

Lui : « Mon GP, les soldats avaient leur fusil et les officiers avaient un GP. » ( GP = pistolet « Grande Puissance de la FN : Fabrique Nationale d'armes de guerre à Herstal , Belgique, de 9 mm para bellum.)

Moi : « Quel grade avais-tu ? »

Lui : « Adjudant : KROL : Kandidaat Reserve Onder Luitenant. Candidat sous-lieutenant de réserve. CSLR, ça s'appelait les Esler, on ne disait plus un sergent ou un adjudant, c'était un Esler. »

Ma mère : « Il aurait déjà du être nommé adjudant. »

Lui : « J'aurais du être nommé sous lieutenant, mais avec la guerre, ça, c'était trop vite...

Ma mère : « Parce que plus son grade était élevé, plus on devait lui payer de solde... Il avait 2F par jour et moi 10F »

Lui : « Mais j'étais déjà très content avec ce que j'avais... Et, oui, j'aurais su nettoyer ce pont... Ca, ça me reste un... un souvenir qui me ronge. »

Moi : « Tu racontais aussi, dans le temps, que vous surveilliez des lignes de fil de fer barbelé et qu'il y avait un Allemand qui était en train de couper ces fils de fer barbelé avec une tenaille ? »

Lui : « Oui, ça j'ai vécu ça aussi : un Allemand en grimpant sur le dos ou plus tôt en rampant sur le dos... Il était formidable... Mais ils avaient été entraînés... Et alors couché sur le dos il coupait les fils de fer barbelés pour faire un trou pour laisser passer les troupes... »

Moi : « C'était où ça ? »

Lui : « Je crois que c'était aussi près du Canal Albert, derrière le Canal Albert comme à Tessenderlo, comme partout, nous avions creusé des tranchées et mis des barbelés, des piquets de barbelés comme ça et ces haies étaient larges de deux, trois mètres. C'étaient des rouleaux et on les défilait et il fallait faire attention de ne pas être attrapés, par cette espèce de ressort... »

Moi : « Alors ce type-là il est arrivé tout tranquillement et il s'est couché sur son dos et il coupait les fils... »

Lui : « Il est arrivé en courant et quand il était bien en vue, il s'est couché sur le dos et il rampait sur le dos et il était caché, je dirais par les herbes ou quoi, on voyait à peine. »

Moi : « Qu'est ce que vous avez fait ? »

Lui : « Et bien, là on a tiré dessus, mais on tirait dans le vague aussi, dans le vide... »

Moi : « Vous étiez combien à tirer ? »

Lui : « Je ne sais pas. Il y avait dans la tranchée beaucoup d'hommes qui tiraient là dessus. Peut-être bien une vingtaine. »

Moi : « Et puis, tout d'un coup, il n'a plus coupé les fils ? »

Lui : « S'il n'a plus coupé, c'est qu'il en avait assez, il était expédié... »

(Un ami m'avait raconté : « Ton père racontait qu'à un moment donné ils ont vu ce soldat allemand qui s'est retourné, a tendu un bras en l'air et puis, est retombé... Alors ils ont compris qu'ils l'avaient abattu et chacun d'entr'eux a espéré ne pas être celui qui avait tué cet homme. Je me souviens que pour ton père c'était un poids énorme sur sa conscience... »)

Moi : « Mais l'histoire du pont de Lixhe, ça c'est un problème ? »

Lui : « Oui : le pont de Lixhe ça me reste, ça me grignote toujours : les Allemands sont passés là devant moi, nom de Dieu, à 100m et que je n'ai pas su tirer dessus ... »

Moi : « Mais de toutes façons, si tu tirais dessus tu tuais des femmes et des enfants et les allemands passaient quand même... »

Lui : « Oui, oui... »

Moi : « Parce que, s'ils ne passaient pas sur ce pont-là, ils passaient
autre part... »

Lui : « Et la nouvelle est arrivée que Eben Emael était tombé et alors tout le monde s'est replié. »

Moi : « Et à ce moment-là qu'est ce qu'il y avait comme gouvernement ? C'était Léopold III ? »

Lui : « C'était Léopold III, je crois, oui... »

Moi : « Qu'est ce que le gouvernement a fait ? »

Lui : « Ils ont évacué aussi, de Bruxelles. »

Ma mère : « C'était pas Spaak qui était au gouvernement ? »

Lui : « Ah, ça je ne sais pas, ça n'a jamais été mon fort de suivre les ... »

Ma mère : « Parce que le gouvernement s'est installé à Ostende et de là ils dirigeaient tout. »

Lui : « La Belgique a été submergée, ça n'a pas duré longtemps. »

( Collaboration en Belgique )

Moi : « Donc, quand la guerre a éclaté, toi tu es parti et combien de jours as-tu résisté en fuyard ? »

Lui : « Je n'ai plus résisté en fuyard. »

Moi : « Pendant combien de jours est ce que tu as fui ? »

Lui : « Après trois, quatre jours... quand on avait la nouvelle, je ne sais pas comment c'est arrivé, qu'Eben Emael était tombé, alors tout le monde a abandonné. On a tout laissé là et on s'est dit qu'on allait se regrouper ailleurs et essayer de faire une ligne de défense. »

Moi : « Et après tu as trouvé le vélo ? »

Ma mère : « Oui, quel imbécile. On voyait tous les gradés qui s'enfuyaient avec leurs grosses voitures . Alors je lui ai dit : viens , nous aussi on rentre à la maison. Et il a répondu non, toi tu rentres, moi je dois faire mon devoir. Quel imbécile. Trois jours après il était prisonnier avec son devoir. »

Lui : « Et puis j'ai trouvé un... J'étais seul à ce moment là. Je ne sais même pas où c'était. Plus tard quand on m'a demandé où j'avais été fait prisonnier, j'ai dit que je ne le savais pas et alors celui qui remplissait les papiers a dit : bon alors si tu ne sais pas où, alors, c'est à Hannut... C'est comme ça qu'on écrit l'Histoire : ce jour-là autant de prisonniers belges à Hannut... et on enseigne ça aux enfants dans les écoles... Je n'étais même plus avec le groupe. J'étais seul et j'ai trouvé un vélo qui n'avait pas de freins. Nom de Dieu ! Et je roulais bien avec mon vélo sans freins et un moment donné j'arrive dans un chemin qui monte et quand j'arrive au dessus, il y a un chemin qui descend, encaissé comme ça avec des broussailles de chaque côté, alors moi je me laisse aller plein tube et comme j'approche, qu'est ce que je vois ?... les Allemands... qui étaient déjà là, devant nous et comme je ne savais pas freiner, je suis arrivé plein tube sur les Allemands... Il y en a un qui m'a donné un coup de pied dans la roue avant et tu aurais du voir le plongeon que j'ai pris... et je n'avais pas le temps de me relever, il y en a un qui m'a sauté dessus en brandissant une grenade... C'étaient des grenades avec un manche en bois, qui était long comme ça et puis la grenade... Les nôtres n'avaient pas de manche en bois, c'étaient des grenades qu'on lançait à la main et avec un levier et on tenait de façon que le levier garde et au moment où on jetait, le levier sautait. Il y avaient six secondes : six secondes après elle éclatait. »

Moi : « A combien de mètres est ce qu'on réussissait à lancer une grenade ? »

Lui : « Cinquante, soixante mètres... celles avec le manche, les autres c'était pas si loin, mais avec le manche, ça tournait en l'air. »

Moi : « Alors cet Allemand t'a attrapé par la peau du cou, avec la grenade et puis ? qu'est ce qu'il t'a dit ? »

Lui, il rit : « Ca, pour l'or du monde je ne saurais pas le dire... Il y avaient beaucoup de ouain ouain dedans et il me tournait cette grenade au dessus de ma tête et puis il a dit : basta, c'est fini et j'ai du rester avec eux. Ils m'ont pris mon GP et alors, tout un temps après, j'avais mon petit pistolet, 6.35, un petit Beretta, (en réalité un Baby Browning FN) c'est un petit pistolet, grand comme la main, à peu près, mais il était méchant aussi, on savait mettre sept balles là dedans, une dans le canon et six dans le chargeur et celui-là, il était chargé et je l'avais dans ma poche et je me disais en moi-même : « je ne sais pas si je n'en ai plus besoin, pour m'enfuir » jusqu'à ce que l'Allemand a eu un doute et s'est mis à me fouiller et a trouvé le 6.35 ... Le concert que j'ai entendu alors... alors je croyais que c'était la fin... »

Moi : « Ils t'ont pris ton canif aussi ? »

Lui : « Oui : j'avais encore un petit canif, à cette époque c'était l'habitude.Toi aussi tu devais avoir ton canif dans ton sac ? Tout le monde, tous les gamins avaient un petit canif, quatre doigts de longueur et ils ont trouvé celui-là et c'était de nouveau tout un concert... et ils me l'ont lancé dans les champs... fini... mais crois-moi, ça c'est ... »

Moi : « Et après, ton 6.35 est revenu après la guerre ? »

Lui : « C'est arrivé par la poste. Je me demande comment c'est possible, il y avait tout ce qu'on m'avait pris. »

Moi : « Qu'est ce qu'il y avait encore ? il y avait une montre ? il n'y avait pas ta montre ? »

Lui : « Non ça je ne crois pas, il n'y avait pas de montre. »

Moi : « Qu'est ce qu'ils t'avaient pris ? ils avaient pris ton petit revolver... »

Lui : « Et mon GP. »

Moi : « Ils ont ramené le GP aussi ? »

Lui : « Le GP, ils l'ont gardé pour eux. »

Moi : « Ils ont rendu ton petit revolver et ton stylo, un Parker ? »

Ma mère : « Non, un Tigre. »

Moi : « Un Tigre brun... et après ça on t'a mis dans un camion ? »

Lui : « Et quand on est arrivés avec ce camion, sur la route, ils m'ont tiré de là et je ne sais pas tout ce qu'ils m'ont raconté. Il y avait un groupe de prisonniers déjà et j'étais dans le groupe de prisonniers, et j'a suivi... »

Moi : « Tes soldats, tu ne les as plus retrouvés ? »

Lui : « Non, eux ils étaient dans un autre groupe et nous marchions, sans but et le soir, je ne sais pas, on dormait par terre, il faisait beau et on pouvait dormir dehors. »

Moi : « C'était quelle date ça ? le début de la guerre ? »

Lui : « Le 10 mai. »

( 10 mai 1940 : Offensive générale allemande à l'Ouest contre les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France : les Alliés la nommeront la bataille de France. Dès le premier jour de combat, les armées et les places fortes belges et hollandaises sont submergées. La Belgique accepte, enfin mais trop tard, l'intervention des forces franco-britanniques : jusqu'au bout, et malgré les évidences, la Belgique s'était accrochée à l'espoir du respect de sa neutralité. )

Moi : « Et le 8 mai qu'est ce que c'est ? »

Ma mère : « La mobilisation ? »

( Le 8 mai 1945 : La victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, ce jour est appelé par les Anglophones le "VE Day" pour Victory in Europe Day. )

Lui : « Non, non, la mobilisation c'est beaucoup avant, mais toi tu étais... à Lixhe. Dès que j'arrivais quelque part, je ne sais pas comment, par lettre, par télégramme, par téléphone, je l'avertissais, et elle était toujours là, avant moi... »

Moi : « Puis quand on t'a mis dans ton camion, tu as marché... »

Lui : « Le soir on dormait... jusqu'à ce qu'on soit arrivés à un camp... c'était en Westphalie. Il y en avaient plusieurs et ils ressemblaient en tout aux camps que nous avions, en Campine. La Campine et la Westphalie, ça se continue comme ça, et on avait un camp à Beverloo et un autre mais ça c'était plus pour l'artillerie et pour la cavalerie à Elsenborn. Nous avons traversé aussi le Canal Albert et nous sommes arrivés en Westphalie. On a visité plusieurs camps et un beau jour c'était versamenling et on nous rassemblait et en colonne de nouveau, jusqu'à la gare, dans des bacs à bestiaux, dans le train, je crois que c'était 40, ils comptaient 40 hommes. Les Allemands étaient quand même tous les mêmes et l'ordre et la précision. Ils comptaient 40 hommes et rouf là-dedans et quand tu n'arrivais pas à temps, ils te poussaient et fermaient la porte derrière toi et on pouvait s'asseoir là-dedans et on s'est même allongés pour dormir et on roulait, roulait, roulait... »

Moi : « Est ce qu'ils respectaient plus ou moins les conventions de Genève sur les prisonniers ? »

Lui : « Moi je n'ai pas à me plaindre de ces Allemands. C'était la guerre et on ne vous emballe pas dans de l'ouate. Ils étaient rudes, ils étaient agressifs, mais ils n'étaient pas méchants... »

Moi : « Ils ont quand même exterminé six millions de juifs, des dissidents politiques, des handicapés, des résistants, des tziganes... »

Lui : « Ca je ne crois pas, je ne crois pas qu'ils étaient si méchants. »

Ma mère : « Tu étais quand même bien affaibli quand tu es revenu ! »

Lui : « C'était la guerre, ceux qui étaient sous le gazon, ils ne devaient plus se plaindre d'être affaiblis, ils étaient morts et il en tombaient tous les jours des dizaines, moi je m'estime très heureux que ça s'est passé comme ça. »

Moi : « Mais la guerre ce n'est pas une catastrophe qui vous tombe du ciel, ce sont les allemands qui faisaient la guerre. »

Lui : « Sans doute. »

Moi : « Après tu es arrivé en Autriche ? »

Lui : « Après, on nous a embarqués dans un train, de nouveau et on est arrivés en Autriche, à Kaisersteinbruch passé Lienz. Je ne crois pas que ça se trouve sur une carte quelque part. Le Stalag XVII A. C'est un petit endroit perdu et on est arrivés là dans un camping, dans un camp, mais là le camp était un camp pour prisonniers et il y avait aussi des barbelés à distance comme ça et entrecroisés, pas moyen de passer et des miradors aux coins et à la porte du camp la même chose. Quand on était là dedans, après quelque temps on venait et on prenait cinq, six prisonniers et ils partaient avec un Allemand, travailler dans les champs. Comme j'étais candidat officier et les officiers, on ne pouvait pas aller travailler ailleurs... »

Ma mère : « Ceux qui pouvaient aller travailler chez les paysans, ils avaient à manger... »

Lui : « Ils avaient à manger. Moi je ne me plains pas de cette histoire-là : ceux qui étaient morts n'ont pas eu à refuser le manger. Un moment donné, le barakke führer m'a pris pour transcrire des listes de prisonniers dans de grands registres et c'était ma tâche toute la journée. On allait avec sa gamelle. On allait à la soupe, c'était de l'eau chaude avec quelque chose dedans, quelques épluchures de pommes de terre. C'était avec une grosse gamelle comme ça et ils prenaient, houp, dans un chaudron et sans douceur ni rien et raus raus... On recevait une gamelle de soupe avec une croûte de pain, plus ou moins grande suivant que ça tombait et comme ils arrachaient des morceaux du pain et on en avait avec ça pour une journée... »

Moi : « C'est alors que tu as fait le traducteur? »

Lui : « Oui, nom de Dieu, comment est ce qu'on disait en allemand ? »

Moi : « Dolmetscher. »

Lui : « Dolmetscher... J'étais dolmetscher et l'allemand, j'en connais deux mots, mais j'étais le dolmetscher quand même cela me permettait aussi d'aller à la cuisine et d'être servi un peu mieux. »

Moi : « Tu racontais quand j'étais petite que quand le barakke führer entrait d'un côté du baraquement en criant « wo ist der dolmetscher ? » toi tu t'enfuyais de l'autre côté et tes copains répondaient : « herraus,
spazieren »

Lui : « C'est vrai, je ne m'en souvenais même pas tiens... et alors il réclamait naturellement que c'était un dolmetscher de mes bottes. Quand je me faisais attraper, j'essayais plus ou moins de me tirer d'affaire... »

Ma mère : « Raconte un peu l'histoire de la boite de sardines que vous avez
eue... »

Lui : « Ah oui, j'avais dans mes réserves une boite de sardines. On la gardait toujours, on disait celle-là, ce sera pour le moment ultime, où il n'y a plus rien d'autre à manger et le soir on se mettait tout autour, la boite de sardines sur la table, on n'y touchait pas, il y avait sur le couvercle une dame de pique, je crois... »

Ma mère : « Celui qui est resté le plus longtemps, il a eu la boite de sardines, ceux qui partaient, ils laissaient la boite de sardines aux autres... »

Moi : « Dans ton camp il n'y avait que des soldats prisonniers, il n'y avait pas de juifs, pas de politiques, que des soldats ? »

Lui : « Il n'y avait que des soldats. »

Moi : « Tu te souviens de tes compagnons, qu'est ce qu'il y avait comme autres soldats avec toi, dans ton baraquement ? »

Lui : « Je ne m'en souviens pas... »

Moi : « A combien étiez-vous dans un baraquement ? »

Lui : « 40, non ça c'était dans le train. Je ne sais pas combien on était dans un baraquement. »

Moi : « Beaucoup plus ? »

Lui : « Oui, oui, oui, oui, oui... parce que là évidemment les lits sont à étages. Il y avaient trois lits superposés. »

Moi : « C'étaient des baraquements en bois ? »

Lui : « Des baraquements en bois, oui, avec des bois comme ça l'un derrière l'autre, en oblique comme ça, et un bon toit, on était bien là dedans... »

Moi : « Donc ça c'était le mois de juillet ? »

Lui : « Mai, juin, juillet, août... »

Moi : « Tu as passé l'hiver dans ces baraquements ? »

Lui : « Oui, oui... »

Moi : « En Autriche il neige beaucoup, il fait très froid c'était pénible ? »

Ici la mémoire de mon père n'a pas été fidèle :

D'après son « Extrait de matricule » que j'ai retrouvé et pour rectifier
ses souvenirs :

mon père a commencé son service militaire le 31 mars 1937

A été rappelé sous les armes le 28 septembre 1938

Fait prisonnier le 12 mai 1940

Rapatrié le 4 octobre 1940

Mis en congé illimité le 5 octobre 1940

donc il n'a pas passé l'hiver dans les baraquements

Le site de Kaisersteinbruch signale qu'en février 1941 le camp comptait 73 583 soldats, 970 officiers, 220 civils et que suite aux nombreux décès advenus pendant l'hiver 1941-42 un cimetière avec des fosses communes avait été aménagé non loin du camp.

Ma mère : « Il y avait aussi qu'ils devaient réparer leurs vêtements. Ils avaient une aiguille à remailler. Ils devaient s'inscrire pour l'emprunter, chacun à son tour pour réparer leurs choses. »

Lui : « Oui, c'était l'aiguille du camp. »

Ma mère : « Ils enlevaient des fils de leur couverture et avec ça ils reprisaient leurs vêtements. »

Moi : « Qu'est ce que c'était que des füsslappen ? »

Lui : « Bè, on n'avait pas de chaussettes. On mettait... C'était un carré de tissus, on mettait le pied dessus, on rabattait de chaque coté et dessus et on glissait son pied dans son soulier, ou dans sa botte. Les allemands c'étaient des bottes... Les allemands aussi avaient des füsslappen... On marchait très bien on ne s'apercevait plus que c'étaient des chaussettes ou autre... »

Moi : « Vous n'aviez pas froid ? »

Lui : « Non... »

Moi : « Qu'est ce qui était le plus pénible dans ce camp ? »

Lui : « Bè, écoute je n'ai rien trouvé de pénible là dedans. Je me suis accommodé. Je me suis toujours dit nom de Dieu, j'ai de la chance d'être vivant... de ne pas être parmi les gens qui sont morts, sur le fort Eben Emael et partout... J'ai de la chance et je me débrouillais... »

Moi : « Ceux qui savent s'adapter survivent... »

Lui : « Oui, oui... Mais je ne me souviens pas qu'il y a eu des morts dans le camp. Mais, évidemment, c'étaient tous des jeunes et les blessés allaient à l'hôpital. Il n'y avaient pas de blessés, il n'y avaient pas de malades : quand on était malade on nous envoyait à l'hôpital avec un camion et vous étiez parti... »

Moi : « Tu avais quel âge, toi ? »

Lui : « En 40, je suis de 17, ça fait 23 ans... »

Moi : « C'était l'aventure ? »

Lui : « Oui, oui, oui... et, je ne sais pas... je n'ai jamais eu la haine des Allemands... »

Ma mère : « Bien au contraire... »

Lui : « Bah... Notre barakke führer faisait le rassemblement dehors et puis on devait faire la gymnastique. Il commandait en allemand, on levait les bras, on écartait les bras, on se mettait le derrière par terre, on se couchait à plat ventre, on faisait toutes sortes de choses que l'autre criait. C'était un homme, un Autrichien, un père de famille, parce qu'il racontait de ses enfants. C'était un homme d'une douceur et qui parlait doucement, mais, nom de Dieu, quand il commandait la gymnastique... »

Ma mère : «Quand il y en avait un autre qui arrivait, alors il criait sur les soldats pour faire voir qu'il commandait... Quand il recevait sa ration de beurre il partageait ça avec eux. Il n'avait pas beaucoup mais il partageait... »

Moi : « Comment est ce qu'ils ont décidé de te renvoyer à la maison ? »

Lui : « Ca je n'en sais absolument rien. Comme on avait déjà plusieurs fois pris le train pour partir je ne sais où... On nous a fait de nouveau, là, un jour, rassemblement... On croyait qu'on allait dans un autre camp. Non, c'était la gare et à la gare dans des bacs à bestiaux, 40 par wagon. On était là dedans et la porte fermée. On avait sa croûte de pain pour la route et on laissait aller le train... On laissait aller et on regardait parfois un peu le paysage en se hissant pour regarder par une petite fenêtre qui se trouvait tout en haut. C'était un paysage comme partout. Puis un beau jour : absteigen et, nom de Dieu, moi je regardais autour de moi... mais nous étions à la gare du Midi à Bruxelles !... le matin, dans l'avant midi. Je me souviens que je suis descendu. Les allemands étaient là. Les prisonniers venaient dehors. Ce qu'ils allaient en faire je ne le sais pas. Ils allaient les conduire à une caserne à Bruxelles ou à un autre camp. Je me dis, nom de Dieu, ici à Bruxelles et ils vont encore me mettre dans un autre camp... Par miracle, je ne sais pas comment, je me suis glissé parmi la foule des gens qui attendaient le train, rouf, rouf, au Midi, donc on était au Midi... et en courant j'ai traversé le bâtiment, et je suis arrivé... A ce moment-là il y avait un tram qui faisait le tour de Bruxelles, dans les deux sens. C'était le 15, le tram 15... Il venait à la porte de Ninove. J'étais là, hop hop, dans le tram... Alors, passait encore un receveur qui vous vendait un ticket, dans le tram. Il ne m'a rien demandé : il a vu directement de quoi il s'agissait, et je suis arrivé à la porte de Ninove... »

Moi : « Quand tu es revenu, tu portais encore toujours ton uniforme de soldat ? »

Lui : « Oui, oui, oui, oui... »

Moi : « Il a vu que tu avais ton uniforme de soldat... »

Lui : « Oui, mais il avait tant à regarder et moi j'ai eu la chance de filer entre les autres jusqu'à la porte de Ninove et là le tram de Ninove... Ce 'était plus le tram à vapeur ? C'était le tram à l'électricité ?... Je ne sais pas si c'était le vieux tram à vapeur... qui partait de la porte de Ninove... Puis je suis arrivé à Tuitenberg et là évidemment la Heidestraat sans demander rien à personne, et je suis arrivé... chez Peter Lommen. »

Moi : « Tu ne sais pas selon quels critères ils t'ont laissé partir ? Ils ne t'ont jamais rien dit ? »

Ma mère : « J'ai l'impression, il y avait un chose... Au village, il y avait un « noir » comme on dit, un qui collaborait avec les Allemands et je suis allée chez lui parce que j'entendais que les Flamands, on allait les libérer et je suis allée chez lui et je crois que c'est de là qu'il a été libéré... »

Ma mère a raconté qu'elle était allée voir un « Zwette » un « Noir » càd un belge en l'occurrence un Flamand puisque nous sommes Flamands qui collaborait avec les Allemands, pour lui demander de faire ce qu'il pouvait pour faire libérer mon père. On m'a raconté que de nombreux Flamands « politisés » étaient favorables aux Allemands car ils espéraient l'indépendance de la Flandre par ce biais. Il semble aussi quel les Allemands, qui eux espéraient la collaboration des Flamands, aient libéré les Flamands avant les wallons. En Wallonie il y a aussi eu des collaborateurs, mais on en parle moins, encore actuellement c'est « un argument politique »

Par contre il ressort d'autres conversations que les gens normaux « s'arrangeaient » .Ils faisaient du commerce même avec les Allemands. Après la guerre on a tracé des croix gammées sur certaines maisons. Des familles sont restées divisées. Certaines personnes ont continué à être mal vues, d'autres ont continué dans la politique. Une cousine est morte de chagrin d'amour car elle aimait un collaborateur qui a été arrêté . D'une parente on a dit qu'il était temps que la guerre finisse car elle sortait avec les soldats allemands et on lui aurait coupé les cheveux. Mais dans ma famille il n'y a eu ni héros, ni martyrs . Tout le monde s'en est tiré le moins mal possible.et apparemment sans aucune conscience politique. Ni gloire, ni honte, un opportunisme banal e médiocre.

Moi : « Est ce que le mouvement Rex était très suivi ici dans la région ? »

Lui : « Oui ! oui ! »

Ma mère : « On y allait ensemble, au château...

( pas celui de Strijtem, celui de Onze Lieve Vrouw Lombeek où eut lieu le 10 juillet 1938 le congres national du parti Rex )

Là tout le monde venait et c'était une foule terrible, c'étaient les rexistes et il y avaient beaucoup de chants avec Léon Degrelle... C'étaient de belles fêtes, des bals, on dansait et on chantait... »

Lui : « Et on lui criait Heil, Heil... C'est celui qui gagne qui a raison... Maintenant ce sont les autres et ceux qui ont crié Heil Degrelle... ont eu tort, on les a poursuivis... si c'avait été eux qui avaient gagné et bien ça auraient été les autres qu'on aurait poursuivis. Et ils se valent, l'un, l'autre, que ce soit l'un ou l'autre, c'est toujours la même histoire... »

Moi : « Degrelle, lui il est parti en Espagne, il n'a jamais été jugé ? est ce qu'il a été jugé par contumace ? »

Lui : « Ho oui, sans doute... On l'a condamné pour occuper l'Etat pour... hé, hé... on condamnait autant qu'on voulait alors... il était parti... »

Moi : « Après, tu es resté à la maison. C'était en janvier ou février de l'année d'après, en 41 ? Combien de mois es-tu resté dans ton camp ? »

Lui : « Six mois... »

Ma mère : « Six mois moins quatre jours. Parce que s'il y avait été six mois, il aurait eu droit à une pension... c'est dégoûtant quand même... »

Lui en riant: « J'aurais eu droit à une pension, mais j'avais quatre jours trop peu... »

Moi : « Et puis ? Le restant de la guerre tu es resté à la maison et tu n'as plus été inquiété, ni comme soldat, ni comme homme valide, ni comme... »

Lui : « Rien, rien, rien... »

Moi : « Les Allemands occupaient toute la Belgique ? »

Lui : « Oui, oui... »

Moi : « Et tout continuait normalement ? »

Lui : « Oui, oui... et on s'habituait. »

Moi : « On s'habituerait à vivre comme ça ? »

Lui : « Avec les Allemands... oui... »

Moi : « Dans la région est ce qu'il y a eu des actes de sabotage ? des répressions ? des représailles ? »

Ma mère : « Le marché noir... »

Lui : « L'événement le plus excitant pour moi c'est l'arrivée en gare du Midi à Bruxelles... quand je m'apercevais que c'était la gare du Midi ! »

Ma mère : « Et quand je te vois arriver à la maison, moi j'étais presque morte... de l'émotion, on a du me sortir... »

Moi : « Après cela a duré encore 4 ou 5 ans et puis ? progressivement vous entendiez que les Allemands reculaient et que les Américains arrivaient ? et ici dans la région comment s'est vécue la libération ? »

Lui : « Moi je me souviens, d'une chose, c'est que nous sommes partis, sur la grand route... Que nous sommes allés là et on voyait passer des camions : les soldats américains qui passaient en camion de Ninove vers Bruxelles... »

Ma mère : « Et alors, après, il y avaient les Allemands qui passaient. Nous, nous étions chez nous à la maison, nous on riait, on a du nous enfermer parce qu'ils étaient furieux...les Allemands , nous on avait bon qu'ils devaient partir... »

Moi : « Il n'y a jamais eu d'actes de répression ? »

Lui : « Je ne me souviens pas qu'il y a eu une seule chose... »

Ma mère: « Après la guerre, la brigade blanche... »

Moi : « C'était quoi, la Wutte brigade ? »

Lui : « C'était l'opposé de la zwette brigade qui étaient pour les Allemands et ils étaient habillés en noir : un bel uniforme noir... »

Ma mère : « Et à ce qui parait, ça continue encore... »

Lui : « Oui, oui... et moi j'ai toujours un faible pour les uniformes... Ces beaux uniformes noirs ou bleus avec des boutons reluisants... Nous, avec notre uniforme kaki, on avait aussi des boutons dorés en cuivre et on avait une petite latte, avec au milieu une fente, avec un trou et alors on glissait là-dedans les boutons... L'un derrière l'autre, et cela faisait une belle petite latte comme ça... et alors on frottait pour les nettoyer... parce que cela devait reluire... »

Ma mère : « Il aurait voulu faire une carrière militaire. »

Lui : « Oui, j'ai toujours aimé les beaux uniformes, la discipline, marcher
au pas, défiler. »

Ma mère : « Mais moi j'ai dit : pas question mon ami ! Tu penses un tel coureur de jupon. S'il avait été militaire il n'aurait plus été à la maison. »

Moi : « Mais tu avais passé Noël et Nouvel An dans ton baraquement à Lienz
? »

Lui : « Oui et c'étaient des jours comme des autres. »

Moi : « Vous n'avez pas fait de fête ? »

Lui : « Rien, rien, rien... on savait que c'était Noël et la nouvelle année, c'était un jour comme les autres... »

Mais il est impossible qu'il ait passé Noël dans le camp puisqu'il avait été rapatrié le 4 octobre.

Moi : « Et il n'y avait pas de tentatives d'évasion ? »

Lui : « Je n'ai jamais su qu'il y avait une tentative d'évasion... Mais tu t'imagines, s'évader là... en Autriche et revenir en Belgique... et on n'était déjà pas des plus forts... on était déjà affaiblis, cela ne valait pas la peine d'essayer. »

Kaisersteinbruch fait partie de la commune Grossgemeinde Bruckneudorf entre Lienz et la frontière Tchèque.

Ma mère : « Combien de temps tu as été que tu ne sa vais rien faire qu'on devait aller chez le médecin et tu devais voir ce que tu mangeais... Tu avais les doigts gonflés comme du rhumatisme.Moi je l'ai soigné avec du lait. Il y a eu beaucoup de prisonniers qui sont rentrés, ils étaient affamés, ils n'avaient plus mangé depuis des mois... La première chose qu'ils ont demandé c'est des frites et ils sont morts... Non non, non... moi je l'ai soigné longtemps, d'abord rien, puis avec du lait... »

Moi : « Est ce qu'il y a des soldats qui étaient prisonniers avec toi que tu as encore revus ? »

Ma mère : « Oui il y en a un qui est venu deux, trois jours chez nous. »

Lui : « Je ne me souviens pas de leurs noms. Je me souviens de deux noms qui étaient soldats avec moi à Bruxelles aux Grenadiers, à la Caserne des Grenadiers, c'était Bodet et Van Assel Alex. Et Alex s'est marié avec Poulette et il avait une marraine rue Caroli, elle nous gardait ses épluchures de pommes de terre pour nos lapins... »

Ma mère: « Ceux des villes gardaient tout et portaient les déchets chez les paysans qui nourrissaient des lapins, comme ça on avait des lapins. »

Lui : « On avait des lapins et s'était à la Villa Bukta, dans l'étable et dans l'étable, c'était notre WC. C'était une planche avec un trou dedans au dessus de la fosse à purin... Et nous nous éclairions avec une lampe à pétrole ou une lampe à carbure, c'était beau... »

Villa Bukta : mes parents avaient aménagé dans une étable pour les moutons qui était si petite qu'il fallait se baisser pour y entrer « zich bukken : se plier en avant à villa bukt u : villa baisse toi)

Moi : « Et Alex, lui il est allé à Bogota ? »

Lui : « Oui... »

Moi : « Après la guerre que sont devenus les groupes de résistants, les fascistes ? Ces groupes ont continué à exister ? Qu'est ce que c'est que les Willems ou Davids Fonds ? »

Lui : « Ca n'est pas politique : c'était littéraire ... Flamingant... mais c'est la Flandre, l'exaltation, c'est toujours... »

Ma mère : « S'il n'était pas marié avec moi et venu chez nous, il aurait été de la Zwette Brigade : ceux qui étaient pour les Allemands... »

Lui : « Oui... oui... c'est bien possible. »

Ma mère : « C'était comme ça ! Tous ses amis étaient comme ça, c'étaient tous des flamingants, c'était terrible, il y en a qui ont été en prison... »

Lui : « Et c'était bien, moi je les aimais bien... et je ne sais pas qu'ils ont jamais fait du mal... »

Moi : « C'est ce qu'on appelle « les collaborateurs » ?... »

Ma mère : « Oui... »

Lui : « Oui, oui... oui mais en douce... c'était pas pour partir à la
guerre... »

Moi : « C'était pas ceux qui travaillaient avec les SS ? »

Ma mère : « Ca je ne sais pas... »

Lui : « Oui, mais ce n'était quand même pas pour aller à la guerre... »

Ma mère : « Ca conduisait à la guerre... »

Lui : « Ils étaient sympathiques aux Allemands... On avait le Studentenbond (association des étudiants) et c'était Vive la Flandre... »

Ma mère : « Et toutes les années, il y avait un magnifique bal à Bruxelles. C'étaient aussi des flamingants. On n'entendait rien que du flamand, mais nous on allait pour s'amuser... »

Lui : « C'était le bal du Payottenland et on avait de belles robes et moi un beau costume, un smoking, avec une petite queue et un haut col blanc avec un nœud et elle en grande robe... »

Ma mère : « On faisait comme ça deux ou trois beaux bals tous les hivers... C'était bien, on ne pouvait pas sortir autrement, mais quand on allait là... »

Lui : « On était en grande tenue. »

Ma mère : « On partait à Bruxelles avec le tram et notre valise. On allait dans une chambre dans un hôtel, on se changeait, nous mettions nos vêtements du soir et puis nous allions au bal et on dansait jusqu'au lendemain matin, puis on allait à la messe et après on rentrait. »

Moi : « Qu'est ce que vous dansiez ? »

Ma mère : « Des valses, des tangos et tout ça, moi j'ai même dansé le charleston, le foxtrot et on a même encore dansé le quadrille des lanciers. »

Moi : « Et ces groupes se sont retrouvés au Congo ? Il y avait le même genre d'associations au Congo ? Le Vlaamse Vrienden Kring ? »

Lui : « Il n'y avait pas ça au Congo : il n'y avait pas de distinction entre les Wallons et les Flamands ça, ça n'existait pas là-bas... »

Nous avons été au Congo de 1956 à 1959. Il y existait le « Vlaamse vriendenkring » le cercle des amis flamands, j'ai même reçu le prix qu'ils attribuaient à la fin de l'année scolaire.

Mon père qui au départ avait un diplôme d'instituteur avait obtenu la licence en pédagogie à l'Université Libre de Bruxelles. Nous sommes allés à Jadotville où mon père a dirigé une école pour former des enseignants autochtones.

Un ami m'a dit : « Non cela n'est pas exact. Au début, avant la guère peut-être le conflit Flamands-Wallons n'existait-il pas, mais après la guerre l'esprit pionnier était mort. On a commencé avec les mesquineries entre les Flamands et les Wallons, les calotins et les anticléricaux qui enseignaient aux noirs à chanter « à bas la calotte »... Les socialistes contre les capitalistes qui exploitaient les mines... Mes parents étaient des coloniaux des années 30, ils ont bien vu le changement. Tes parents n'étaient pas de vrais coloniaux, ils ne sont arrivés qu'à la fin : ton père a eu un diplôme universitaires et ta mère a voulu le monnayer en allant au Congo...

Ton père a toujours sympathisé avec les mouvements flamingants, même de retour en Belgique : il donnait des cours pour le Willems Fonds et le Davids Fonds...

D'ailleurs c'est comme ça que nos deux familles ont commencé à se brouiller : ton père tenait pour la Volksunie et mon père pour les wallons du FDF, le Front des Francophones. »

Moi : « Plus tard après avoir divorcé j'ai séjourné un temps chez mes parents. Mon père m'obligeait à suivre des cours de flamand, qui ne m'intéressaient pas. Il disait que c'était la langue de l'avenir... et comme je n'avais pas d'argent, pas de travail, j'habitais chez mes parents, je dépendais d'eux... j'allais aux cours de flamand, mais j'étais persuadée que la langue d'avenir, c'était l'arabe. »

La sœur de mon père : « Quand il était jeune, c'était un beau garçon, il avait un diplôme d'instituteur, toutes les filles lui courraient après, mais lui, il était amoureux d'une fille de Bruxelles. Il allait à l'école à Bruxelles et ils se rencontraient en cachette jusqu'à ce que notre père l'aie su et alors cela a été le drame parce que cette fille, c'était une lointaine cousine... Eux c'étaient des gens riches. Ils voulaient un bon parti pour leur fille. Son père est venu chez nous ... et après ça il a commencé avec toi...(ma mère) »

Ma mère : « De ce temps-là il y avait toute une bande de jeunes qui venaient chez nous, on avait un estaminet, on allait aux kermesses... »

Sa sœur : « Tous ses amis étaient du « Studentenbond » catholiques et flamingants... Et puis plus tard il y a eu le VNV : Vlaams Nationaal Verbond... l'équivalant de Degrelle qui était en français... Ils se réussissaient en secret dans des granges et ils chantaient des chants patriotiques qui exaltaient le patriotisme des Flamands... ils avaient un journal : « Le blé qui lève », mais notre père était contre les flamingants, s'il avait su ça, il l'aurait rossé. Alors ces réunions avaient le charme romantique des sociétés secrètes... Ils se réunissaient en cachette... »

Ma mère : « J'ai une fois été avec lui à une réunion : c'étaient tous des jeunes avec des diplômes : médecins, avocats... Ils chantaient, c'était formidable et puis ils ont bu... à la fin de la soirée ils étaient ivres morts, couchés par terre... sous les tables... c'était formidable... »

Sa sœur : « C'est à une kermesse que je t'ai vue pour la première fois : il dansait avec toi et moi j'ai dit : avec cette vieille ! »

Ma mère : « J'ai cinq ans de plus que lui mais ça ne se voit pas. »

Sa sœur : « Lui a cinq ans de plus que moi, ça fait dix ans, à cet âge-là dix ans c'est beaucoup... »

Ma mère : « Et puis c'étaient les vacances. Il m'a dit « je pars en vacances à la mer chez ma tante, pour deux mois... » trois jours après il était de retour et il a cueilli des pommes avec nous, tout l'été. Mon père mettait deux échelles dans le même pommier... et puis il y a eu la mobilisation... On l'envoyait avec ses soldats, il me téléphonait et moi j'allais le rejoindre... Je n'avais jamais voyagé, je n'avais jamais pris le train, mais j'arrivais quand même... Dans les gares il y avait toujours des hommes qui portaient ma valise... C'était formidable... On logeait chez l'habitant... On allait se marier, on avait déjà acheté son costume et un soir il est arrivé à vélo et il m'a dit : « allez, dépêche toi, on va aller se marier, parce que c'est la mobilisation, ça va être la guerre et si on est mariés tu auras droit aux bons pour la nourriture et si je suis tué tu auras une pension »...On a couru à l'église, en vélo, deux passants ont été nos témoins et ils nous ont prêté leurs alliances... » Le soir il est rentré à la caserne des grenadiers et là il a rencontré son ami Alex qui lui aussi avait mauvaise mine. Alors ils se sont demandé : « et bien qu'est ce que tu as ? » « je me suis marié... » « moi aussi je me suis marié... » Alors ils ont passé leur nuit de noce ensemble à la caserne... » A la déclaration de la guère, moi j'étais avec lui à Tessenderlo. Alors il a dit : « tu dois rentrer, ça va être la guerre et alors tu ne sauras plus rentrer, tu dois partir... »

On voyait tous les officiers qui partaient eux aussi. Moi je lui disais : « viens avec moi, tu vois bien que les gradés s'enfuient du front... viens avec moi... » et lui il a dit : « non, je ne peux pas, je dois faire mon devoir ! »... l'imbécile... trois jours plus tard il était prisonnier...

Nous on a évacué avec la charrette et le cheval... On a passé sur une rivière, il y avait un pont, le cheval avait peur et cet A llemand a pris le cheval par la bride et l'a fait traverser et de l'autre coté, il y avait eu des dizaines de morts... des grenadiers, comme lui... alors le soir j'ai été regarder un à un, tous ces morts pour voir s'il n'était pas parmi eux... Il y avaient des gens qui pillaient les cadavres, ils prenaient les portefeuilles, prenaient l'argent et jetaient le reste par terre... Ils coupaient les doigts des soldats morts pour voler leurs bagues... Et puis on est revenus à la maison... Il y avait un de nos ouvriers qui était resté dans notre ferme avec les chiens, Kiki et Toni, des Malinois, des grands chiens bergers qui gardaient la maison. Pendant 14-18 les Allemands avaient occupé la maison et ils avaient même volé le mercure de notre baromètre. Mais cet ouvrier ne voulait plus nous laisser entrer, il croyait que tout était à lui... Qu'il était devenu le maître, mais mon père l'a remis à sa place... Et puis on a su qu'il était prisonnier en Autriche... Moi je lui ai tricoté un pull-over et j'ai toujours dit « vous allez voir : quand le pull-over sera fini il sera de retour... et, un soir j'étais en train de coudre les manches et il est entré, sans avertir... il était maigre comme un squelette et moi j'ai failli mourir... je ne savais plus respirer, je ne savais plus parler, on a du me conduire dehors ... Et lui on l'a déshabillé car il était dégoutant, plein de puces. On a brûlé ses vêtements. On a mis une grande cuve dehors qu'on a remplie avec de l'eau chaude et on l'a lavé dehors. »

Sa sœur : « A la libération il y avaient tous ces Anglais qui arrivaient sur la place et tout le monde criait... Ils donnaient des cigarettes et du chocolat. Les gens mettaient dehors leurs drapeaux belges, même ceux qui avaient été des collaborateurs, alors la Wutte brigade est sortie de l'ombre, on brûlait les drapeaux de ceux qui avaient collaboré avec les Allemands... Notre père aurait été lui-même brûler les drapeaux... Puis il y a eu les représailles contre les collaborateurs... Il y avait eu des jeunes qui avaient été arrêtés par la zwette brigade, torturés, déportés... disparus... Notre maison... le fond de notre jardin touchait au fond du jardin d'un de ceux qui travaillaient pour les Allemands et on entendait crier dans son garage. On entendait des hurlements des gens qu'on torturait... Il y en a qui ont disparu... Dans une famille, à la libération les fils rescapés avaient enlevé un de ces collaborateurs qui avait tué leur frère, ils l'ont emmené chez eux, l'ont fait ramper par terre, demander pardon à genoux et puis ils ont voulu lui tirer une balle dans la tête mais leur mère est intervenue, elle a dit que même à le fusiller, son fils ne serait pas revenu... Alors ce collaborateur ils l'ont arrêté, ils l'ont traîné à Bruxelles, il lui ont fait monter les marches du palais de justice à genoux, et puis il a été jugé et fusillé... Au village il y avait un café et la fille du cafetier servait à boire à tous ces jeunes soldats allemands... On s'était habitués, on avait l'impression que les Allemands n'allaient plus jamais partir, qu'ils allaient toujours rester ici... A la libération on a entendu les gens qui disaient, ça y est on l'a attrapée... ça va être son tour, alors ils ont traîné la fille du cafetier sur la place, en cortège, et là on lui a arraché ses vêtements, on l'a tondue... J'avais honte pour elle, non j'avais pitié d'elle et j'avais honte pour nous tous, moi je me suis enfermée chez nous pour ne pas voir, je pleurais et si j'avais su faire quelque chose, je l'aurais fait, mais les gens étaient déchaînés...

Ma mère : « Je connais une fille, elle aussi allait à Bruxelles et il parait qu'elle allait avec les allemands, mais avant la libération elle s'est vite mariée et alors les choses se sont calmées... Mais elle a bien risqué qu'on lui coupe les cheveux à elle aussi... »

Sa sœur : « Il y a eu une histoire terrible : un homme du village avait participé à la guerre 14-18 et il était allé en Angleterre, pendant la guerre de 40, ouvertement il collaborait avec les Allemands pour pouvoir recueillir des informations qu'il envoyait en Angleterre. Mais à la libération, les gens étaient tellement déchaînés qu'ils ont failli le lyncher... Ils l'ont consigné aux Anglais et il s'en est fallu de peu qu'ils ne l'exécutent... »

Moi : « Après il y a eu tous les règlements de compte ? »

Sa sœur : « Oui, moi j'ai vu qu'ils brûlaient des maisons. Il y avait une belle villa, ils sont entrés, ils jetaient les peintures et les meubles par la fenêtre, ils ont même jeté le piano par la fenêtre et puis ils ont mis le feu... »

Ma mère : « Oui et ceux qui étaient noirs sont restés noirs et ceux qui étaient blancs sont restés blancs... et il parait qu'ils continuent à se réunir... »

Sa sœur : « Nous, nous étions une famille normale, mon frère était un idéaliste un peu bête mais il n'était pas dangereux... Enfin on commence par chanter des chants patriotiques mais on ne sait pas où ça peut vous mener et comment ça peut finir... Mais ce n'est quand même pas comme dans les familles qui ont eu de vrais résistants et de vrais collaborateurs et de vrais drames. Encore aujourd'hui c'est la haine... La haine pour de vieilles histoires qu'on ne comprend même plus mais qui se passent de génération en génération... Le plus terrible c'est que cela continue... en Yougoslavie, au Congo, dans tous ces pays d'Asie... »

Ma mère : « Mais ce n'est que ça : il suffit d'ouvrir la télévision, on ne voit que ça... »

Moi : « Et tous ceux qui ne sont pas revenus... les camps de concentration... »

Sa sœur : « Mais oui, nous aussi on a eu notre camp à Breendonk et la Caserne Dossin à Malines. On en a parlé après la guerre... »

Moi : « Et les camps d'extermination ? »

Sa sœur : « De tout ça, nous on ne savait rien. On en a parlé après la guerre. »

Lui : « on dit ça. »

Moi : « mais les camps. »

Lui : « celui qui perd la guerre a toujours tord. »

« Plus de 25 000 juifs furent déportés de la Belgique vers Auschwitz-Birkenau, moins de 2000 survécurent. » ( Akadem )

« Entre le 4 août 1942 et le 31 juillet 1944, 24.906 juifs et 351 tziganes furent déportés de la caserne Dossin à Malines vers Auschwitz. 1207 personnes seulement survécurent. Parmi les victimes des convois belges, il y avait 5.093 enfants dont 150 n'avaient pas encore deux ans. (.) En même temps qu'il y a eu déportation des juifs de Belgique, il y a eu vol. Organisé de manière systématique également. Lorsqu'une famille était envoyée à Malines avant Auschwitz, son logement était vidé de toutes ses valeurs. » ( A propos de la déportation des juifs )

Mon père n'a jamais parlé de la question juive, à la fin de sa vie il la niait même. Pourtant quand il était à l'université dans les années '50 il avait une amie juive qui venait régulièrement chez nous, il n'est pas possible qu'il n'ait pas été au courant. Au Congo nous avions rencontré une dame qui avait un numéro tatoué sur l'avant-bras, mon père m'a dit « c'est une juive. » Donc il savait. Forcément il devait savoir : c'était un intellectuel féru d'histoire. Nier était-ce le refus de soulever le couvercle de l'urne de Pandore de sa conscience, de l'histoire ? Encore aujourd'hui il est très difficile de parler .

Le 10 août 2009 mon père est mort. Etrangement à ses funérailles il n'y avait aucun représentant ni de l'administration communale, ni de l'école où il avait enseigné.

Le 11 novembre 2008 lors des cérémonies de commémoration les anciens combattants ont été cités mais pas mon père. Il ne faisait pas partie de l'association des anciens combattants car il estimait qu'il ne devait pas demander son adhésion et payer une cotisation pour une chose qu'il avait faite et pour laquelle on aurait du le remercier. Pendant la messe de requiem, il a eu droit au drapeau belge et à ses décorations sur son urne. A la fin de la messe, en tant qu'ancien prisonnier de guerre et ancien combattant, il a eu droit aux hymnes nationaux : La Brabançonne et le Vlaamse Leeuw.

Sur le fairepart de décès j'avais fait imprimer « ancien combattant et ancien prisonnier de guerre, décoré de la croix d'argent d'officier de l'ordre du mérite du Brabant ». Un faire part avait été mis au tableau d'affichage dans le hall de la maison de repos où mon père avait terminé sa vie. J'entendis un jeune homme qui était en train de lire, dire à son voisin :

-« Un tas de vieilles conneries. »

J'ai retrouvé des documents entre autres :

Marcel Lauwaert
Marcel Lauwaert
Attestation du Capitaine Pierard
Attestation du Capitaine Pierard
Entlassungsschein du Stalag XVII A
Entlassungsschein du Stalag XVII A
Carte de prisonnier de guerre
Carte de prisonnier de guerre
Association des anciens combattants
Association des anciens combattants
Extrait de matricule
Extrait de matricule

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