Stalag VII A: Témoignages |
Gérard Fleury |
Stalag VII A et commando[...] Le soir, toujours distribution de fromage blanc. Nous roulions dans un paysage de montagnes, on approchait de la Tchécoslovaquie. En place pour la troisième nuit. Soudain, en pleine nuit, un crépitement se fit entendre, les planches du côté du wagon volaient en éclats, nous étions mitraillés par un avion, nous prenant sans doute pour un train de troupe. Il revint à la charge, et mitrailla de nouveau. Instinctivement, nous nous cachions la tête. Ayant sans doute reconnu son erreur, l'avion repartit. Il laissait une sentinelle allemande tuée, un français aussi et plusieurs blessés français. Notre mitraillage avait eu lieu en Tchécoslovaquie. Le train repartit, quelques heures après nous arrivâmes enfin à destination. C'était une petite ville qui s'appelait Moosburg, située en Bavière. Il y avait un camp de prisonniers, c'était le stalag VII A. Ce qui faisait donc mon troisième stalag après le III B et le III C. Les malades furent emmenés dans des camions. Il y en avait beaucoup plus que je croyais. On nous mis en colonne, toujours avec Blanquet, Nogues, et Tourbez. Nous voilà partis pour le camp qui n'était pas très loin. Immense camp: 120.000 prisonniers de nationalités différentes. 12 ou 13 je crois. Toutes séparées les unes des autres par des barbelés. Le camp lui-même était entouré d'une double haie de barbelés de six ou sept mètres de haut, avec au milieu de ces haies un enchevêtrement de barbelés et devant une rangée de fils de fer électrifiés. Des miradors tout le long et constamment des patrouilles avec des chiens qui tournaient autour du camp à l'extérieur. On traversa tout le camp pour arriver à notre carré. Cinq grandes tentes, cinq cents hommes dans chaque, sur le sol un tapis de fibre de bois. A l'entrée du camp, on nous avait pris notre couverture, par contre à l'entrée de la tente, on nous en donna une autre. Nous étions le 9 ou 10 mars 1945, peut-être le 11, je ne sais plus. Ce que je sais c'est qu'il faisait encore très froid, et que nous mourions de faim. Tous les jours, des malades partaient pour l'infirmerie. J'avais fait la connaissance d'un gars de Pouilly-sur-Loire. Il tomba malade aussi. Congestion pulmonaire. Je me suis occupé de lui avant de partir. J'ai appris à mon retour en France qu'il était mort. Le matin, un peu de leur fameux thé d'aiguilles de pin, à midi une louche de soupe de feuilles de betteraves, le soir une petite tranche de pain et deux pommes de terre à l'eau, mangeables quand elles n'étaient pas au trois quarts pourries. Les autorités allemandes nous avaient complètement isolés des autres prisonniers, à cause de notre état et aussi pour que l'on ne puisse pas raconter ce que l'on avait vu sur le front de l'est. Pour la deuxième nuit après notre arrivée on nous donna quand même une deuxième couverture, la tente n'était pas chauffée, évidemment. La nuit, le stalag était entièrement éclairé, sauf pour les alertes, ils éteignaient car si par mégarde le camp avait été bombardé par les avions alliés, quelle belle occasion de propagande. Pour l'eau, une citerne venait tirée par des prisonniers. Un homme de corvée se tenait au robinet et distribuait l'eau avec un seau. Pas question de se laver. Pour les besoins, c'était la fameuse tranchée traditionnelle des camps. La nuit, un grand bidon à la porte de la tente, le soir à heure fixe, interdiction de sortir. Les sentinelles depuis leur mirador avaient ordre de tirer sur tout ce qui bougeait. Tous les matins, de nouveaux malades, congestion aggravée par la faiblesse. Le stalag III B était dur mais celui-là c'était pire. Oui, mais une chose nous restait que nous n'avions pas au III B, c'était le moral. Le matin rassemblement devant les tentes, opération de comptage, mais comme ils ne pouvaient jamais y arriver, ils avaient vite fait d'abandonner. Ensuite, ils nous laissaient tranquilles jusqu'au rassemblement du soir. Un jour, on nous distribua des biscuits vitaminés, un peu de chocolat et du tabac, quelle aubaine !!! C'était la Croix Rouge de Genève venue spécialement de Suisse pour nous visiter, nous les reclus du VII A. Les allemands lui refusèrent l'entrée mais nous distribuèrent les denrées qu'ils nous avaient amenées. Quelques jours après, ils demandèrent des volontaires pour aller travailler, tout le monde était volontaire pour manger et sortir de cet enfer. A chaque tente des sous-officiers s'étaient portés responsables, pour la bonne tenue, toute relative. On inscrivit notre nom, chacun sur un papier, le tout dans une boîte et à chaque demande de volontaires, des noms étaient tirés au hasard. Les demandes étaient très variables, dix, douze hommes. Un jour je vis partir mon grand ami Blanquet, il fut tiré au sort et partait avec Nogues. J'eus bien de la peine, ça faisait cinq ans que nous étions ensemble, à partager les mêmes peines, ou les mêmes joies, partager quelquefois le dernier morceau de pain qui restait ou la dernière cigarette. Je croyais bien que nous allions revoir la France ensemble, le sort en a voulu autrement. Et puis je restais quand même avec Tourbez. Dans la tente, nous étions moins serrés, les départs et les maladies, ça donnait de la place. Puis la vermine fit son apparition, alors désinfection de fond en comble. Retour à la tente où notre couche et nos affaires avaient été désinfectés. Tous les soirs, nous chantions tous en cœur, cette fameuse chanson que tous les prisonniers français connaissaient, qui venait d'on ne sait où «Dans le cul... ils auront la victoire ». Tous les jours il en partait. Puis un jour on vient en demander une quinzaine. Mon nom et celui de Tourbez sortirent de la boîte. De très bonne heure, on vint nous chercher avec notre petit barda. Passage à la douche, on nous donna à chacun un peu de vivres et nous partîmes, toujours à pied, à travers la campagne et les montagnes de cette Bavière si jolie avec des petites villes splendides. Plusieurs sentinelles nous encadraient. L'une d'elle nous expliqua que si nous étions à pied c'est que tout était détruit, les lignes de chemin de fer désorganisées. De temps en temps, nous laissions deux ou trois hommes dans un commando. Tourbez toujours avec moi. Vers le milieu de la journée nous sommes arrivés dans une ville nommée Freising. Très jolie ville, ce qui restait de notre groupe fut dirigé sur la prison de la ville, et on nous boucla dans une toute petite cour pavée. On se posa quand même des questions, pourquoi on nous amenait là ? mystère. Les gardiens vinrent nous chercher et l'on repartit toujours à pied dans ce si joli pays. Nous marchions dans des sentiers à travers la montagne, laissant toujours de temps à autre un ou deux camarades dans des fermes de passage. Bientôt nous étions plus que deux Tourbez et moi, c'était vraiment extraordinaire que nous étions restés ensemble, je bénissais le hasard. Enfin la dernière sentinelle nous laissa dans un commando situé dans un charmant petit village. Sur le flanc d'une colline, entourée de sapins, ce village s'appelait Grünwald, ce qui signifie en français quelque chose comme forêt verte. Le commando était composé d'une trentaine de français dispersés dans les fermes voisines. Il y avait un café, la sentinelle nous emmena dans ce café, on nous servit une ration de choucroute et un demi de bière, c'était merveilleux, mais ça ne calmait pas notre faim, il nous en aurait fallu trois ou quatre fois plus. Ils étaient une trentaine, comme j'ai déjà dit, mis à part un niçois et un jurassien, tous les autres étaient vendéens. Pas de lit pour moi, en attendant on me fit coucher dans le lit d'un gars qui était à l'hôpital. Quelques jours plus tard, ce gars revint de l'hôpital. J'eus l'horreur de voir qu'il était couvert de boutons purulents sur tout le corps. J'avais couché dans son lit...! Heureusement je n'ai rien attrapé. Par contre, le local où nous étions était farci de petites puces noires. Elles nous dévoraient, le soir il y en avait qui faisaient un concours, à savoir celui qui en attraperait le plus. Le lendemain de notre arrivée, c'était le jour du vendredi saint, une sentinelle m'emmena dans une ferme à quelques kilomètres du commando. En arrivant, la patronne me donna un peu à manger, ne se doutant pas que j'étais insatiable. Je n'ai pas osé en redemander. La maîtresse de maison ne parlait que le bavarois, elle me fit comprendre qu'ici le jour du vendredi saint on ne travaillait pas. Elle me fit quitter ma chemise et m'en donna une autre, la mienne n'était plus qu'une guenille, je l'avais sur le dos depuis plus de trois mois et sans être lavée. Le père, un homme excellent de gentillesse. C'étaient vraiment de braves gens, j'étais bien tombé. Ils avaient trois fils. L'aîné, disparu en Russie, le deuxième disparu en Italie, le troisième borgne était mobilisé dans un entrepôt militaire de la région, il venait presque tous les jours à la maison. Il y avait aussi trois filles, l'aînée de ces filles peut-être une vingtaine d'années, les deux autres bien plus jeunes, mais toutes très gentilles. C'était des catholiques pratiquants, tous les jours un membre de la famille assistait à la petite messe du matin. Avant chaque repas, c'était la prière debout autour de la table, il y en avait au moins pour dix minutes. Malgré l'accent bavarois, je parlais en allemand avec les filles, mais entre eux ils ne parlaient que le patois. Donc, pour revenir au jour de mon arrivée, à midi on me donna des gâteaux, à quatre heures, casse-croûte et le soir on me dit de retourner au commando avec un demi-litre de lait et un morceau de pain. En chemin je ne pus résister, je mangeai le pain et bus le lait, avant d'arriver au commando. A la ferme je mangeais très bien, et je ne travaillais pas beaucoup, c'était l'idéal, ah! si j'avais passé toute ma captivité là! Tous les matins à dix heures, j'avais ma canette de bière, car dans cette ferme il y avait des houblonnières. J'allais y travailler avec les filles. Le dimanche, le père me donnait de l'argent civil pour boire la bière au village, il me donnait aussi du tabac ou des cigarettes. Dans ce charmant petit village de Bavière, je passai quelques semaines sans histoires. Assez loin des grandes routes on ne voyait pas grand chose, pas de réfugiés, mais de temps à autre des éléments de l'armée allemande qui battait en retraite devant les américains. La Hongrie, alliée de l'Allemagne, demanda l'armistice. De la ferme, j'aperçut un matin un bataillon de hongrois qui avait refusé de combattre, désarmés par les allemands et encadrés comme des prisonniers. Je vis aussi passer un bataillon de français sous l'uniforme allemand, c'était un détachement de la division «Charlemagne» issu de la L.V.F. (Ligue des Volontaires Français). J'avais été prévenu de leur passage par un des leurs qui avait certainement envie de déserter. Il m'avait aperçu dans la cour, était venu me parler. Un peu interloqué, je le reçus sans enthousiasme. Après quelques mots sans importance, il partit, je serrais sans vigueur la main qu'il me tendit. C'était certainement un brave, mais il s'était trompé de camp. J'allais me poster, assis sur la barrière de la cour, et regardais défiler, toujours en bon ordre, ce bataillon de mercenaires. Ces hommes de la même langue que moi, alliés de nos vainqueurs. Je les regardais avec hauteur, beaucoup me regardèrent aussi, mais pas un ne me dit mot. Tous les matins le patron me disait qu'il n'y avait plus que quelques jours de guerre. On voyait toujours passer des troupes allemandes battant en retraite, mais plus tellement en bon ordre. Un matin, alors que j'étais à table en train de manger le casse-croûte de dix heures avec du pain blanc de leur fabrication, j'étais seul à table, la patronne s'occupait dans cette cuisine immense. Quand je vis par la fenêtre une voiture s'arrêter, trois soldats et un officier en sortirent. Ils rentrèrent brusquement dans la maison. Deux soldats se postèrent à la barrière d'entrée, le troisième se posta à la porte d'entrée de la cuisine, avec mitraillette en position d'attente. L'officier s'assit à table à côté de moi, sans une parole, sans même me jeter un regard. Il réclama à manger, la patronne lui servit un morceau de pain noir. Nous étions tous les deux à manger ensemble, l'officier supérieur avec son pain noir, le prisonnier avec du pain blanc... Il partit aussi vite qu'il était arrivé, il devait fuir sans aucun doute. Après son départ, la patronne me baraguouina des paroles que je ne compris pas. Quand le patron revint il m'expliqua que c'était le grand chef de la Gestapo de Nuremberg. Jamais je ne me serais douté qu'un jour, étant prisonnier, j'allais manger avec un personnage de cette importance. J'avais remarqué sur la route que j'empruntais pour aller au commando, que sur les bas côtés de la route des trous étaient creusés. En cas d'attaques aériennes, les troupes en repli, se mettaient à l'abri dans ces trous. Un soir, en rentrant, j'aperçois un détachement de soldats allemands marchant en file indienne de chaque côté de la route. Soudain, un avion allié arrive subitement et met sa mitrailleuse en action. Les soldats se précipitent dans les trous, et moi je suis resté à marcher sur la route, comme si rien ne s'était passé. Est-ce de la bravoure ? Non. De l'orgueil certainement. Je prenais un certain plaisir à les voir tous planqués dans les trous. L'avion fit un deuxième passage avec son tac-tac. Les allemands ne ripostèrent pas, l'avion disparut comme il était venu. C'est à ce moment là que je me rendis compte de mon imbécillité, et j'ai eu peur. Pourquoi prendre des risques quand on peut faire autrement. Je rentrai au commando et ne parlais pas de mon aventure. Un détachement de S.S. avec leurs camions était dans le village. C'était le dernier avant l'arrivée des américains, qui approchaient. Maintenant on entendait distinctement le canon. Vers les dix heures du soir, grande animation dans le village. Les S.S. partirent plus loin, la canonnade se rapprochait. Nous, dans le commando, on attendait. On confectionna un drapeau tricolore de fortune, prêt à le mettre à la fenêtre. La nuit se passa. Le lendemain, au petit jour, on entendit un vacarme épouvantable, c'était les américains qui envahissaient le village sans aucune résistance, avec une quantité de chars énormes. Aussitôt drapeau à la fenêtre, on alla sur le bord de la route saluer comme il se doit nos libérateurs. Nous étions le 1er mai 1945. On ne peut expliquer notre joie, notre bonheur. C'était la fin de nos misères, la liberté attendue depuis cinq longues années. Nous avons mis à notre calot les trois couleurs de notre drapeau, cousues avec des petits morceaux de chiffons trouvés ça et là... Les vendéens presque tous sous-officiers, recousaient leurs galons qu'ils avaient précieusement conservés. Isolés dans ce joli coin de Bavière, les américains passés, l'on ne vit plus personne. Alors que faire ? Les habitants restaient cloîtrés dans leurs maisons. Et puis une voiture arriva avec un officier américain et un interprète. Il nous dit: vous serez bientôt chez vous, mais en attendant, vous êtes les maîtres du village, réquisitionnez les armes. Les habitants nous donnèrent leurs armes. On fit deux prisonniers S.S. armés qui s'étaient camouflés dans une cabane, mais qui se rendirent sans difficultés, après sommations. Soudain, on vit arriver une petite troupe d'une trentaine de soldats allemands désarmés qui venaient à notre rencontre les bras en l'air pour se rendre à nous. Ils s'étaient cachés dans les bois, les américains étaient passés sans les voir. Bien embarrassés d'eux, nous les avons fait rentrer dans la cour, nous leur avons donné un peu de nourriture, on leur a procuré un drap blanc qu'ils ont mis au bout d'une perche et sont partis... se faire prendre ailleurs ! On ne travaillait plus, j'allais seulement à la ferme pour manger. Ils n'avaient plus de nouvelles de leur troisième fils, certainement prisonnier des américains. Comme nous ne voyions rien venir, nous décidâmes de partir vers une ville. On réquisitionna un tracteur avec une plate-forme et même le chauffeur puisque nous avions le droit de réquisition. J'allai dire au revoir à mes patrons qui avaient été si gentils pour moi. Ils me donnèrent leurs photos, la patronne me donna une miche de six livres et un gros morceau de lard. Je pris leurs dons, malgré que nous ne manquions plus de nourriture. Nous quittions donc le village sur la plate-forme le 7 mai 1945.
Après les drapeaux tricolores de Charleroi, ceux des nazis de Trêves, je voyais maintenant les drapeaux blancs de cette ville. Pas une maison, pas une fenêtre ou un édifice public qui n'avait son drapeau, signe de reddition sans conditions. Dans une autre ville, plus loin, qui s'appelait Mainbourg, on campa dans une grange, située dans une cité ouvrière de la ville. Les enfants, surtout les plus jeunes, nous regardaient sans trop s'approcher. C'était nous maintenant qui étions les occupants. Je me rappelle avoir donné un morceau de chocolat à une petite fille qui pouvait avoir six ou sept ans. Elle partit dans une maison proche de notre cantonnement. Elle revint quelques minutes plus tard et me mit un œuf dans ma main, riche offrande de la part de ces gens, les œufs étant chose extrêmement rares dans les villes. Je lui dit de garder son œuf et voulus le lui rendre, mais elle partit en courant rejoindre sa mère qui était restée sur le pas de la porte. Le lendemain de notre arrivée, nous avons appris l'armistice. L'Allemagne, la grande Allemagne capitulait sans conditions. C'était le 8 mai 1945. [...] Source:
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